23/05/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Des fruits en quête de reconnaissance

01/03/2004
Les oranges Sunkist, les pommes Washington, les prunes Sunsweet, les kiwis Zespri... Autant de marques connues et reconnues dans le monde pour la qualité de produits qu'elles n'hésitent d'ailleurs pas à commercialiser à des prix supérieurs.

Créer dans l'île des marques qui soient tout aussi représentatives, c'est l'aventure dans laquelle s'engagent les fruiticulteurs insulaires, confrontés à une concurrence internationale exacerbée.

Les marques, et l'image qu'on s'en fait, rassurent sur la qualité du produit, et ce qui est vrai pour un article de consommation courante l'est aussi pour les fruits. S'il est bon de palper, sentir et regarder un fruit avant de l'acheter, le fait qu'il porte un logo ou un label connu est certainement une garantie supplémentaire de qualité et de constance. C'est que, de plus en plus exigeants, les consommateurs recherchent les meilleurs fruits.

L'ouverture de l'agriculture insulaire à la concurrence internationale dans la foulée de l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2002 a été une expérience certainement difficile pour les fruiticulteurs. « A la suite de la baisse des tarifs douaniers, les importateurs se sont dépêchés de faire venir des fruits du monde entier, suscitant une offre trop abondante en regard de la demande », explique Joseph Yu [游仲淵], directeur adjoint à Taiwan de Zespri International, la firme dont le label est apposé sur des kiwis que l'on trouve commercialisés presque partout dans le monde.

En accédant à l'OMC, Taiwan a donc dû réviser drastiquement sa politique commerciale agricole. Si les consommateurs insulaires ont bénéficié de ces changements, grâce à une nouvelle abondance et à des prix tirés vers le bas, pour les exploitants en revanche, l'adaptation a été douloureuse. « Le niveau des prix était plus élevé lorsque les marchés étaient protégés, confirme Lee Cheng-mau [李正茂], directeur adjoint des Affaires internationales de la commission d'Etat de l'Agriculture (COA). Il y a eu une ouverture soudaine, et les agriculteurs insulaires se sont retrouvés dans une situation tout à fait nouvelle. On constate depuis que les prix ont baissé de 16%. La pression exercée continue de nous pousser à réagir en cherchant de nouveaux débouchés à l'étranger. »

Les fruiticulteurs taiwanais profitent d'atouts certains, le premier étant bien sûr le climat qui, chaud et humide toute l'année, permet de produire une grande variété de fruits de qualité. On trouve ici notamment des bananes, des mandarines, des ananas, des mangues, des litchis, des papayes, des goyaves, des pamplemousses, des caramboles, des jameroses Les producteurs ont encore quelques autres avantages : une longue expérience, la qualité de la recherche dans le domaine agronomique

Des fruits en quête de reconnaissance

Les producteurs apportent leurs mangues à la coopérative.

A l'inverse, parmi les obstacles au développement, figure en premier lieu la taille des exploitations fruitières : celles-ci sont trop petites, trop nombreuses. La rationalisation, les économies d'échelle sont ainsi rendues difficiles tant sur le plan de la production que sur celui de la commercialisation. « Les fruits exportés doivent être collectés auprès de nombreuses fermes, ce qui complique la tâche, car si les variétés sont les mêmes, les méthodes de production, elles, diffèrent, continue Lee Cheng-mau. Cela pose bien sûr un problème pour le suivi de la qualité : « Avant de penser à créer une marque unique, il faudrait d'abord transformer la structure foncière des exploitations et normaliser les méthodes de culture, de récolte. Si l'on n'y parvient pas, les efforts de communication pour construire l'image de nos produits n'auront servi à rien. »

L'autre problème est d'adopter une politique commune entre les producteurs en matière de prix. Les grandes marques internationales, qui représentent en général de très nombreux exploitants regroupés sous un label unique, affichent des prix qui ne varient guère, car des mécanismes ont été mis en place pour les déterminer, comme d'ailleurs est fixé au préalable le partage des bénéfices.

A Taiwan, en contrepartie, on ne peut que trop souvent déplorer la rivalité entre fruiticulteurs. « Lorsqu'ils exportent vers Hongkong ou vers Singapour, explique Liau Jen-i [廖振義], directeur de la Coalition pour la stratégie agricole de Taiwan, ils se livrent à une concurrence acharnée sur les prix, les diminuant au détriment de la qualité. Malheureusement, sans garantie de qualité, il n'est plus question d'espérer ensuite la fidélité du consommateur. »

Zespri International a remporté un succès notable dans la commercialisation de ses kiwis. La marque représente 2 700 fruiticulteurs néo-zélandais et vend leurs fruits dans le monde entier. Grâce à cette entreprise commune, les producteurs ont limité la concurrence sur les prix, amélioré la qualité et assuré très positivement la promotion de la Nouvelle-Zélande et de ses kiwis tout autour du globe. « Tout est centralisé, les fruits étant tous commercialisés par Zespri, même auprès des grossistes et des importateurs étrangers, explique Joseph Yu. Le fait d'agir ensemble nous permet d'influer sur les prix, la qualité et la stratégie commerciale. Ainsi à Taiwan, nous avons choisi de ne travailler qu'avec trois importateurs, ce qui nous permet de contrôler l'ensemble du processus. Tout cela, favorise l'émergence d'une bonne image de marque. »

La promotion, financée par les producteurs néo-zélandais réunis, est bien plus efficace que si ces derniers partaient chacun de leur côté à la conquête des marchés étrangers.

Le maintien de la qualité relève aussi des tâches imparties à Zespri : « Peu importe la stratégie commerciale, si le produit n'est pas parfait, cela ne marchera pas », affirme Joseph Yu. D'ailleurs, le bureau de Zespri à Taiwan réagit promptement si la qualité des fruits reçus n'est pas optimale. Chaque cageot de kiwis est identifié par un numéro de série, et les données accumulées à la longue permettent d'établir lequel des producteurs associés est le moins bon ou le meilleur. « C'est ainsi que si vous demandez aux consommateurs insulaires d'où viennent les meilleurs kiwis, continue le responsable taiwanais de Zespri, ils répondront en chÏur de Nouvelle-Zélande. »

La réussite des producteurs de kiwis néo-zélandais regroupés sous une marque unique est le résultat d'une initiative publique : seul Zespri est autorisé à exporter les kiwis de ce pays. Dans le contexte particulier de Taiwan, une telle mesure pourrait cependant paraître difficile à mettre en œuvre. « Si le gouvernement confiait le monopole de l'exportation d'une variété de fruits à une seule coopérative, affirme Lee Cheng-mau, cela susciterait immédiatement des critiques, certains suspectant dans cette façon d'agir l'octroi de "faveurs spéciales". Les accusations de favoritisme voleraient, et le gouvernement serait placé dans une situation délicate. »

Il existe tout de même d'autres moyens d'aider les agriculteurs à exporter. La COA a ainsi lancé un programme qui incite les petites fermes fruitières à se regrouper pour former une exploitation plus importante. Les pouvoirs publics se chargent alors de mettre sur pied des ateliers d'emballage, par exemple, et de faire circuler les dernières connaissances en matière de fruiticulture.

L'autre inconvénient de la petite taille des exploitations est le risque élevé de contamination croisée due aux pesticides utilisés par les fermiers voisins. Aussi les pouvoirs publics tentent-ils de résoudre le problème en dédiant des aires plus étendues à une production fruitière spécifique. C'est par exemple le cas des terres autrefois réservées à la culture intensive de la canne à sucre.

« Nous devons rester compétitif. Utiliser ces zones étendues pour y produire de nouvelles cultures est une autre façon d'y parvenir », indique Liau Jen-i. A but non lucratif, l'organisation qu'il dirige, la Coalition pour la stratégie agricole de Taiwan, a été fondée en novembre 2000 pour aider les agriculteurs à se préparer aux retombées de l'accession de Taiwan à l'OMC. Aujourd'hui, la coalition travaille sur l'amélioration des stratégies de commercialisation des fruits taiwanais dans l'île et à l'étranger. Il y a trois ans, elle a favorisé le regroupement de plusieurs syndicats de producteurs de mangues au sein d'une même coopérative qui vend désormais ses produits sous une seule marque, Taiwan Mango. Le succès a été au rendez-vous, puisque l'année dernière, 85% des mangues taiwanaises destinées à l'exportation - contre 55% en 2001 - ont été vendues sous cette marque. Les exportations de mangues ont augmenté de 30% en moyenne chaque année depuis trois ans, passant de 3 700 t en 2001 à 7 000 t en 2003. « Le positionnement de notre marque s'améliore, mais nous ne pouvons pas encore crier au succès, déclare Liau Jen-i. Nous apposons notre marque sur les cartons, travaillons avec les distributeurs étrangers ; il s'agit d'une première étape. Nous espérons aller plus loin dans cette direction. »

La création d'une appellation d'origine pour les fruits taiwanais - comme il en existe pour les vins français, les kiwis néo-zélandais, les cerises californiennes ou les pommes de l'Etat de Washington - qui soit facilement reconnaissable, serait un gage de succès commercial. Il n'y a qu'à constater, par exemple, la réussite récente des poires sud-coréennes dans l'île. La COA est donc au cœur de ce mouvement pour la constitution de labels propres aux fruits taiwanais, en organisant des foires de promotion et d'autres activités commerciales à l'étranger, notamment au Canada, aux Etats -Unis et en Malaisie.

Les bananes de Taiwan jouissent depuis longtemps d'une réputation bien établie au Japon, parce qu'elles sont sucrées et parfumées. Il fut d'ailleurs un temps où elles formaient la première exportation de l'île. « A cette époque, les autorités japonaises avaient confié à une seule coopérative insulaire le droit d'exporter ses bananes vers le Japon. C'est ainsi que nous sommes parvenus à construire une image de marque pour les bananes taiwanaises », indique Lee Cheng-mau. Même si aujourd'hui leurs concurrentes des Philippines, d'Amérique centrale ou du Sud occupent une position dominante sur le marché japonais, les bananes de Taiwan continuent de s'y vendre, alors qu'elles sont 20% plus chères. « Voilà quelques-uns des principaux avantages qu'il y a à vendre sous une marque unique, souligne-t-il. Nous voulons suivre ce modèle et créer des marques pour nos autres fruits. »

Le lieu de production semble être le moyen le plus sûr d'identifier un fruit. Vient ensuite le label qui peut être inspiré de celui d'une coopérative, d'une personne, d'un procédé agricole ou d'une quelconque particularité du fruit. « Il y a à Chiayi une société qui exporte des mandarines sous la marque Trois oiseaux. Ce nom est connu à Hongkong où il est synonyme de mandarines de qualité, explique Liau Jen-i. Alors que les prix chutaient l'année dernière dans l'ancienne colonie britannique jusqu'à 60 dollars de Hongkong le cageot, les mandarines commercialisées sous la marque Trois oiseaux continuaient de se vendre à 99 dollars de Hongkong. La qualité est la clé du succès. »

Il faut cependant convaincre les producteurs du bien-fondé de la démarche commerciale. C'est peut-être là le plus gros défi à relever, continue Liau Jen-i, qui se plaint que ceux-ci refusent trop souvent de coopérer tant que le label n'a pas été lancé. Or, c'est le contraire qui devrait se produire, dit-il. Les fermiers doivent d'abord collaborer à la création de la marque, avant d'en toucher les retombées commerciales.

En affrontant la concurrence internationale à la suite de l'ouverture des marchés, les agriculteurs insulaires ont su démontrer leurs capacités d'adaptation. Il leur reste désormais à s'entendre pour ne plus vendre que sous quelques marques représentatives qui seront alors capables de porter haut dans le monde les couleurs des fruits taiwanais. ■

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